Réfléchir & Agir – Alexandre Quet

« L’idéologie ou l’origine des idées reçues » vue par Raymond Boudon.

Par αlexandre Ωuet

Avec les idéologies, la question qui est débattue est celle des «puissances qui nous portent à consentir» disait Pascal.

Pourquoi adhérons-nous à telle idée, telle proposition, telle théorie ? La Rochefoucauld répond partiellement à la question en disant « l’esprit est toujours la dupe du cœur.»

Afin d’analyser le processus d’idéation, commençons par deux définitions de l’idéologie. La première est empruntée par Raymond Boudon à Raymond Aron :

« Les idéologies politiques mêlent toujours, avec plus ou moins de bonheur, des propositions de fait et des jugements de valeur. Elles expriment une perspective sur le monde et une volonté tournée vers l’avenir. Elles ne tombent pas directement sous l’alternative du vrai et du faux, elles n’appartiennent pas non plus à l’ordre du goût et des couleurs. La philosophie dernière et la hiérarchie des préférences appellent le dialogue plutôt que la preuve ou la réfutation : l’analyse des faits actuels ou l’anticipation des faits à venir se transforme avec le déroulement de l’histoire et la connaissance que nous en prenons. L’expérience corrige progressivement les constructions doctrinales. »

La seconde définition que nous donnons est celle d’Edward Shils :

« Les idéologies se distinguent des autres types de systèmes de croyances par la position qu’elles occupent par rapport à huit critères. Elles se signalent par : le caractère explicite de leur formulation, leur volonté de rassemblement autour d’une croyance positive ou normative particulière, leur volonté de distinction par rapport à d’autres systèmes de croyances passés ou contemporains, leur fermeture à l’innovation, le caractère intolérant de leurs prescriptions, le caractère passionnel de leur promulgation, leur exigence d’adhésion, et, finalement, leur association avec des institutions chargées de renforcer et de réaliser les croyances en question[1].»

Pour Boudon :

« Les théories des idéologies s’opposent les unes aux autres sur un objet qu’elles définissent différemment, et (…) l’important corpus qu’elles constituent a souvent pour conséquence un dialogue de sourd.»

Boudon est l’un des grands défenseurs de l’individualisme méthodologique[2]. Pour expliquer un phénomène social quelconque, il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par ce phénomène en appréhendant ce dernier comme le résultat de l’agrégation des comportements individuels dictés par un ensemble de motivations. Ce type d’explication suppose une rationalité de l’individu.

Pour Boudon, l’idéologie n’est pas un phénomène irrationnel à la différence de Marx qui assimile idéologie et fausse conscience (c’est-à-dire à une manière déformée de voir la réalité) ou d’Aron (L’opium des intellectuels, 1955) qui définit l’idéologie comme un mélange de jugements de faits et de jugements de valeurs (conduisant souvent au fanatisme.)

Dès l’introduction de son ouvrage Boudon demande pourquoi croit-on si facilement aux idées fausses ou douteuses?

Pour Boudon, l’idéologie est d’abord le fruit d’un effet de situation et d’un comportement rationnel.

« Sous l’empire de ces effets de situation, l’acteur social tend – dans certaines circonstances dont je m’efforcerai de préciser la nature- à percevoir la réalité, non pas telle qu’elle est et telle que d’autres peuvent la voir, mais de manière déformée ou partielle.»

 L’idéologie est avant tout pour Boudon le fruit d’une perception de l’acteur situé.

Pour Boudon l’idéologie est ainsi largement influencée par les effets de situation et par la perception que l’on a des choses ; du lieu où on les perçoit. L’acteur social est situé; il ne voit donc pas le monde de la même façon que son voisin. « Ce que l’on perçoit d’un point de vue dépend de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas » nous dit Boudon. Ainsi, la perception que l’on a des choses n’est pas de nature contemplative mais au contraire active.

L’idéologie est également le fruit d’un effet de position et de disposition.

Ces effets sont pour les idées, ce que la perception est pour les choses banales de la vie courante (cf. : les travaux d’Husserl ou de Merleau-Ponty.)

De par leur position, les acteurs peuvent percevoir la réalité sous un jour plutôt que sous un autre[3]. De par leurs dispositions (même s’ils ont la même position sociale par exemple), ils interpréteront une même réalité de manière opposée.

Quoi qu’il en soit, nous dit Boudon (en rappelant les apports de Marx ou de Mannheim à la théorie des idéologies), les idées (à l’exception de celles qui prétendent à la vérité universelle) ne peuvent être comprises sans référence au contexte social et historique dans lequel elles apparaissent. Pour ce faire, il s’appuie sur l’analyse marxienne du fétichisme des marchandises: l’effet de position pousse un vendeur à croire que la valeur de son produit dépend uniquement de l’offre et de la demande alors qu’elle dépend aussi et surtout de la valeur « travail » utile à la fabrication du produit. Sa position fait qu’il ne se doute pas un seul instant de l’importance de ce facteur. Et Boudon de conclure :

« Il aura souvent quelque peine à concevoir que ce qu’il voit est affecté par le point de vue à partir duquel il le voit (…) Ces effets de situation sont d’une importance particulière, car ils sont souvent suffisants à expliquer pourquoi un acteur social souscrit à telle idée fausse ou douteuse.»

A titre d’exemple et concernant l’effet de disposition, on peut reprendre Weber :

« Lorsqu’un comportement étrange provoque chez nous l’étonnement, c’est que nous l’abordons avec des dispositions qui nous rendent ce comportement inintelligible et opaque. Ainsi, l’acte du faiseur de feu n’a rien d’incompréhensible, de magique pour nous (car nos dispositions nous le rendent intelligible) alors qu’on ne comprend pas du tout la réussite du faiseur de pluie (dans les sociétés primitives.) Si nous pouvons considérer de manière intelligible l’acte du faiseur de feu, c’est que nous mobilisons des notions qui nous sont familières car culturellement acquises. C’est bien parce que nous sommes convaincus que l’énergie mécanique peut se transformer en énergie thermique que nous croyons à l’existence d’une relation de causalité entre le frottement du bois et l’apparition de l’étincelle. Notre pré-savoir, notre prescience, que nous croyons être un vrai savoir, une vraie science, nous conduisent souvent à des réponses, une connaissance et des idées fausses et erronées.»

C’est ce que Boudon rappelle:

« Ces effets de situation  (…)  sont (…) suffisants à expliquer pourquoi un acteur social souscrit à telle idée fausse ou douteuse.»

Retenons l’exemple que donne Boudon. Une idée reçue veut que les femmes de plus de 35 ans aient plus de chance de faire un enfant prématuré. Statistiquement, ceci est absolument faux ; les femmes plus jeunes ont proportionnellement les mêmes chances d’avoir un bébé prématuré. En réalité, ce préjugé n’a aucune validité scientifique et statistique.

Ces effets de position et de disposition propres à l’observateur occidental sont tout à fait compréhensibles et son comportement en matière d’idéologie est tout à fait rationnel.

Aussi, accepter ou réfuter les idées est normal et rationnel.

« Et il aura souvent quelque peine à concevoir que ce qu’il voit est affecté par le point de vue à partir duquel il le voit, sans que cela doive être mis sur le compte d’une quelconque irrationalité de sa part.»

L’homme choisit donc les idées de façon rationnelle.

Pour Boudon, la rationalité des individus et de leurs comportements tiennent donc une grande part dans son analyse.

Pour Boudon, l’homme a une attitude rationnelle et sa rationalité est située. C’est parce qu’il est rationnel que l’acteur sait la difficulté de vérifier empiriquement les théories qu’il adopte et qui le dépassent (celle d’Einstein sur la relativité restreinte par exemple.) Pour l’école de l’individualisme méthodologique, l’homme n’est donc pas suspendu dans une sorte de vide social, il est situé socialement. Il a reçu une éducation et des dispositions de fond sur lesquelles il développe une conduite rationnelle. Ces dispositions sont des données en fonction desquelles l’acteur se détermine pour guider son action. Les guides de cette action restent plus ou moins flous mais toujours sous l’empire de sa conscience nous dit Boudon.

Boudon s’oppose donc aux théories de la rationalité limitée en matière d’idéologie (L’idéologie, 1986 ; L’art de se persuader, 1990.) L’idéologie n’est pas pour lui un phénomène irrationnel à la différence de Marx ou d’Aron; ce dont nous avons déjà parlé.

Il s’oppose ainsi aux visions qui poussent à penser que l’homme a une attitude irrationnelle lorsqu’il est au contact des idées. Il réfute aussi l’idée selon laquelle l’homme est soumis à des forces qui le dépassent ou lui échappent, en le réduisant à l’état de ‘‘marionnette’’ (Marx) ou de simple support structurel (Durkheim). De même, Boudon s’oppose à Marx pour qui les hommes épousent des idées fausses à leur insu (alors que pour Boudon il y a intentionnalité) et réfute l’analyse habermassienne selon laquelle les idées sont le fruit des passions et des multiples entraves sociétales.

Néanmoins, Boudon n’oublie pas que les idées sont souvent le fruit du conformisme et de la mode. Elles sont d’autant plus relayées lorsqu’elles bénéficient d’une large caution scientifique.

Les idées sont ainsi le fait d’un certain conformisme et obéissent au cycle des modes.

« On a fréquemment noté que les idées, ou du moins certaines catégories d’idées, paraissent asservies à ce qu’il est convenu d’appeler des cycles de la mode.»

Boudon considère que les sciences sociales sont davantage sujettes à idéologie car propices au débat (alors que les sciences dures posent souvent des théories vérifiables mathématiquement.) Boudon parle « d’exotérisme[4] naturel propre aux sciences sociales.» Les débats relatifs aux sciences dures n’intéressent qu’une minorité d’initiés car sans effets pour notre vie pratique. Les sciences sociales, qui s’écartent davantage des règles scientifiques rigides, contribuent ainsi à renforcer les idéologies ; même si les débats épistémologiques en sciences sociales prétendent le contraire.

Boudon se demande ainsi pourquoi certaines idées sont plus sujettes aux modes que d’autres ? Premier élément de réponse : les sciences humaines sont plus simples à appréhender que les sciences complexes. La physique quantique est toujours plus difficile à comprendre que les théories macroéconomiques keynésiennes ; elles-mêmes plus difficiles à comprendre que les débats de société qui nous touchent et que l’on vit empiriquement (la laïcité, l’égalité hommes/femmes, la sécurité, les rythmes scolaires…)

Ainsi les théories des physiciens ont davantage de chance d’être préservées des modes que celles des économistes soumises à un retour cyclique, à l’instar des débats de société. Toutefois, cette analyse reste relative. Les théories physiques relatives à la fabrication de l’arme atomique ou celle de la relativité ont une incidence majeure sur les débats de société (équilibre de la terreur, dissuasion, antagonisme des blocs.) Elles ont, par voie de conséquence, des implications idéologiques.

Boudon nuance toutefois cette idée de ‘‘mode’’.

« On en a déduit que, comme dans les cas de modes vestimentaires par exemple, ces cycles devaient être imputés à des phénomènes d’imitation, comme aurait dit Gabriel de Tarde, ou, ce qui revient à peu près au même, qu’ils doivent s’expliquer par une tendance des acteurs sociaux – de certains acteurs sociaux- au conformisme. Ce type d’explication comporte assurément une part de vérité. Mais je crois qu’il ne faut pas en exagérer la portée.  Les idées  (…) ne sont pas vécues comme étant affaire de goût ou de préférence.»

Si l’on reprend l’idée habermassienne selon laquelle les idées fausses se développent en fonction d’entraves que la société impose, on retrouve aisément le modèle que fustige Boudon : celui de l’homme irrationnel que la sociologie durkheimienne, marxiste et habermassienne ont contribué à imposer.  L’acteur social est représenté ici comme un être passif (face à la société chez Durkheim et Habermas, face aux dominants chez Marx.) L’esprit de ce dernier serait comparable à « une plaque sensible » sur laquelle viendraient s’imprimer les idées à la mode. Ainsi, Boudon donne un certain crédit aux thèses de Gabriel de Tarde, sociologue Français de la fin 19ième:

« Ces cycles devaient être imputés à des phénomènes d’imitation, comme aurait dit Gabriel de Tarde.»

Pour Gabriel de Tarde, l’ensemble de la vie sociale s’explique par la conjugaison de deux forces majeures : l’imitation et l’invention. C’est le jeu complexe de processus de répétition, d’opposition et d’adaptation qui rend compte du changement social[5] (notamment dans le domaine vestimentaire et celui des idées) : il a d’ailleurs écrit en 1890 « Les lois de l’imitation[6] .» Toutefois, Boudon refuse de comparer exagérément les modes vestimentaires et idéelles ou d’y voir un simple phénomène d’imitation.

De même, Boudon ne reconnaît qu’à moitié le fait que les idées émergeantes sont le fait du conformisme intellectuel. Tout une littérature contemporaine a d’ailleurs glosé sur la question (cf. : Emmanuel Todd, auteur d’un ouvrage sur la pensée unique qu’il assimile à la pensée zéro.) Boudon s’éloigne de cette idée qui va à l’encontre de sa théorie d’un homme rationnel en finalité ; il s’oppose davantage encore à la théorie marxiste selon laquelle « les idées dominantes sont les idées de la classe dominante.»

Notons enfin l’expérience de Stanley Milgram qui a révélé l’importance de la soumission idéologique à une majorité, a fortiori, si celle-ci est parée d’une autorité scientifique[7]. En général, en effet, une idée est d’autant plus acceptée qu’elle paraît vraie. Une idée vraie bénéficie d’une large caution scientifique.

Pour Boudon, une idée est d’autant plus acceptée qu’elle sonne juste, qu’elle nous paraît juste :

« Par nature, les idées, à la différence des vêtements par exemple, ne sont pas vécues comme étant affaire de goût ou de préférence. Par essence, elles sont vraies ou fausses, justes ou fausses (au sens où un poème sonne faux).»

Les idées avalisées par la communauté scientifique sont souvent des idées acceptées car considérées comme vraies (et susceptibles d’être vérifiables.) On peut constater cela à travers deux types d’effets : les effets E (épistémologiques) et les effets de communication (l’acteur  étant considéré comme rationnel.) Evaluer nous même les théories d’Einstein entraînerait pour nous un coût considérable : « avant qu’un paradigme soit sérieusement contesté, il aura souvent le loisir de donner naissance à des théories qui seront largement avalisées par la communauté scientifique, qui jouiront d’une autorité scientifique incontestée et qui, partant, pourront exercer une influence sociale et politique considérable. Cet exemple (…) témoigne de l’importance qu’il y a à considérer les effets E (épistémologiques) dans l’analyse des phénomènes idéologiques.»

A ceci, il convient d’ajouter ce que Boudon appelle les « effets de communication.» Dans une situation de réception d’une idée ou d’un savoir, un individu est, dans de multiples cas, peu porté à examiner la vérité des contenus.  Il fait plutôt confiance à l’autorité qui l’exprime. Il serait en effet fort coûteux de chercher à vérifier une information télévisée ou scientifique. Ces effets (de diffusion et de circulation de l’information) échappent le plus souvent au public qui reçoit l’information[8].

Par ces effets, les acteurs sociaux traitent souvent les idées, non pas comme des boîtes blanches (idées maîtrisées dont on est sûr qu’elles sont vraies) mais comme des boîtes noires (idées dont on ne connaît pas fondamentalement le caractère vrai et dont on ne maîtrise pas tous les connecteurs logiques.)

Ainsi, la plupart du temps, les idées sont traitées par l’acteur social comme des boîtes noires. Difficile en effet de vérifier une information qu’on ne peut trouver qu’à l’autre bout du monde. L’individu ne cherche donc pas ce qu’il y a derrière chaque idée reçue (ce qui nous entraîne souvent dans l’erreur.) L’individu s’appuie donc souvent sur des arguments qui lui échappent et sur des jugements d’autorités. En fait, on vérifie une idée reçue un peu comme on achète un téléviseur : de manière très superficielle. On n’a ni le temps, ni l’argent, ni la connaissance pour disséquer chaque composant et pour voir s’il est le meilleur et le plus solide de sa catégorie (c’est pareil pour les idées.)

Les idées reçues nous entraînent parfois sur le terrain de la vérité….et souvent celui de l’erreur.

Boudon dit ainsi « le sujet ne sais pas, car la notion est complexe, mais il croit savoir car son raisonnement repose sur une base plus intuitive que scientifique. Ainsi, il ne sait pas qu’il ne sait pas.»  Il est donc essentiel de distinguer la connaissance préscientifique qui conditionne nos sociétés, nos idées et la connaissance réelle qu’on a des choses et que seule une solide formation scientifique et statistique peut donner. Boudon défend donc une théorie rationaliste de l’idéologie : l’adhésion à une idéologie est vue comme un choix individuel rationnel, par opposition aux thèses selon lesquelles l’idéologie est une manifestation de l’irrationnel, du passionnel, fruit d’un aveuglement collectif.

Certaines idéologies peuvent s’appuyer sur des théories authentiquement scientifiques, mais dont on perçoit souvent mal les limites de validité ou dont on n’a que de vagues prénotions.

Boudon ne croit pas du tout en la fin des idéologies (Francis Fukuyama ou Daniel Bell.) Elles naissent, nous dit-il, comme les champignons dans les bois après la pluie, et renaissent sous de nouveaux habits ; aucune société n’en est exempte, aucune idéologie n’est jamais définitivement condamnée à l’oubli. Elles sont des mécanismes sociaux normaux, au sens durkheimien. Ni la modernité, ni la démocratie de Weimar n’ont arrêté le formidable coup de bélier idéologique qu’Hitler leur asséna à la faveur d’un contexte économique dégradé. L’Histoire est certes cyclique mais elle n’est jamais écrite d’avance. Les idéologies restent néanmoins bien vivaces car elles constituent autant de grilles d’interprétation du monde.


[1] International encyclopedia of the Social Sciences.
[2]L’individualisme méthodologique est un paradigme de sciences sociales, selon lequel les phénomènes collectifs peuvent (et doivent) être décrits et expliqués à partir des propriétés et des actions des individus et de leurs interactions mutuelles. Cette approche s’oppose à l’explication holiste selon laquelle les propriétés des individus ne se comprennent pas sans faire appel aux propriétés de l’ensemble auquel ils appartiennent.On peut donc caractériser l’individualisme méthodologique par trois propositions qui postulent que:-Seuls les individus ont des buts et des intérêts (principe de Popper-Agassi.)-Le système social, et ses changements, résultent de l’action des individus.-Tous les phénomènes socioéconomiques sont explicables ultimement dans les termes de théories qui se réfèrent seulement aux individus, à leurs dispositions, croyances, ressources et relations.
[3] Michael Löwy, Paysages de la vérité, introduction à une sociologie critique de la connaissance, Paris, Anthropos, 1985, p. 210 et s. On pourra notamment lire avec intérêt le raisonnement développé par Löwy quant au « mythe du belvédère » (d’où l’on voit le paysage) et à la connaissance scientifique. « Les différents points de vue qui peuvent être adoptés dépendent de la position des observateurs. Certains sont plus élevés dans leur ascension de la montagne que d’autres. Leur vision du paysage est donc différente : ceux qui occupent la position la plus élevée voient, par définition, plus que ceux qui sont en bas, ou pour le dire autrement, peuvent intégrer dans une vision élargie le point de vue étroit de ceux qui sont en dessous. Cette topographie des positions ne nous donne pourtant que l’élément objectif de la situation : celui par lequel nous pouvons « situer » les différents personnages regardant le paysage. Nous comprenons que leurs positions spécifiques leur donnent une possibilité de voir, définie par l’angle sous lequel ils se sont placés pour voir. Mais rien ne dit encore ce que sera leur description ou mieux la peinture de ce paysage : intervient alors un élément subjectif, indépendant de la position sur la montagne et qui renvoie moins à l’œil de l’observateur qu’à sa vision, c’est-à-dire à sa représentation personnelle » [Michel Miaille, « La critique du droit », Droit & Société, n° 20-21/1992, p.84].
[4] Qui fait l’objet d’un débat, d’un enseignement public.
[5] Tarde met en avant des facteurs psychologiques propres aux changements sociaux ce qui l’oppose violemment à Durkheim qui explique le social par le social. Refusant d’hypostasier la réalité sociale, Tarde explique la coutume par une succession d’invention qui se poursuivent et se répètent continuellement.
[6] Pour Gabriel de Tarde, l’imitation est le facteur originel et décisif de l’apparition du lien social entre les individus. Les hommes pensent et agissent de la même façon parce qu’ils vivent ensemble. L’imitation se propage en ondes concentriques autour du modèle. C’est l’imitation qui explique l’itération des faits et l’émergence des institutions. Elle est le fait des individus et des groupes sociaux. L’imitation connaît un double mouvement : des classes supérieures vers les classes modestes et du dedans vers l’extérieur. Les classes supérieures sont comme une « sorte de château d’eau social d’où la cascade continue de l’imitation doit descendre. » Lorsque la classe supérieure se replie sur ses traditions et les défend jalousement contre le changement « on peut dire que sa grande œuvre est faite et son déclin avancé » (Les Lois de l’imitation.) Le processus imitatif ne se déroule pas sans résistance individuelle et collective (L’Opposition universelle.) D’ailleurs, c’est parmi ceux qui résistent, qui refusent d’imiter, que sont les innovateurs qui inventent. Cette adaptation sera ensuite remise en cause par une nouvelle invention (Les lois sociales), qui sera à son tour imitée…Le lien social a donc trois composantes selon Tarde : l’imitation, l’opposition et l’adaptation. Dans « Les Transformations du droit », Tarde fait d’ailleurs une application de sa théorie au droit.
[7] Stanley Milgram, Obedience to Authority : An Experimental View, Harper Collins, 2004

[8] Boudon s’oppose à Habermas car il ne croit pas à une communication pure et parfaite, sachant que l’information ne circule pas au même rythme et peut être manipulée. De plus on n’assimile jamais cette dernière de la même manière.

Les commentaires sont fermés.